Publié par - Twim'O Team
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ÉTUDE - Le droit de propriété est souvent perçu comme un droit absolu, conférant au propriétaire une maîtrise exclusive de son bien. Pourtant, dans certaines situations précises, ce droit peut être limité par les exigences de la vie en société, et notamment par les nécessités du voisinage. Car réparer ou entretenir sa maison implique parfois d’avoir recours… au terrain d’à côté. Par Nathalie Quiblier, journaliste

C’est ce que permet la servitude de tour d’échelle, ou « droit d’échelle » ou « tour d’échelle », une dérogation exceptionnelle au principe fondamental de l’inviolabilité de la propriété privée. Ce mécanisme juridique autorise un propriétaire à accéder temporairement au fonds voisin pour effectuer des travaux indispensables à la conservation de son bien. Il ne s’agit pas d’un confort ou d’une commodité, mais bien d’une solution de dernier recours, strictement encadrée.
En effet, tout passage sur la propriété d’autrui en vue de travaux ne peut se faire librement. Il suppose de répondre à plusieurs conditions : des travaux nécessaires, une impossibilité de les réaliser autrement, un passage limité dans le temps et l’espace et une gêne minimale pour le voisin. En cas de désaccord, seul le juge peut autoriser l’exercice de cette servitude temporaire, souvent dans un contexte tendu entre voisins. En sachant que lorsque cette servitude est justifiée, le voisin qui la subit ne peut pas s’y opposer.
Une servitude strictement encadrée
En autorisant le passage sur la propriété voisine, la servitude de tour d’échelle porte atteinte au droit de propriété, un droit fondamental. Elle n’est donc accordée que si certaines conditions sont réunies : le passage doit être temporaire, limité à une zone précise, proportionné, et gêner le moins possible le voisin concerné. Par ailleurs, elle ne peut pas être justifiée par n’importe quels travaux.
Il est important de souligner que cette servitude ne résulte pas d’un texte de loi, mais d’une construction purement jurisprudentielle. Autrement dit, elle a été créée et encadrée par les juges eux-mêmes. C’est pourquoi son application reste exceptionnelle et fait l’objet d’une stricte appréciation au cas par cas par les juridictions civiles.
*Des travaux indispensables, pas simplement utiles
Seuls des travaux réellement indispensables peuvent justifier la servitude de tour d’échelle. Il doit s’agir de travaux liés à la sécurité, à l’entretien ou à la conservation d’un bâtiment déjà existant. Par exemple, refaire une toiture, poser un enduit d’étanchéité, réparer des fissures, consolider un mur porteur ou remplacer un revêtement abîmé sont des travaux pour lesquels cette servitude peut être mise en place. En revanche, des travaux de confort ou d’embellissement comme repeindre une façade pour l’esthétique, créer une ouverture ou agrandir un bâtiment sans contrainte technique importante ne donnent pas droit à cette servitude.
*Des travaux sur un bâtiment déjà existant
Il n’est pas possible de demander à passer chez son voisin pour construire une maison neuve. Il faut que la construction existe déjà. Toutefois, selon les juges, si l’immeuble est en passe d’être achevé, il est alors considéré comme existant et certains travaux de finition comme le crépi ou l’isolation peuvent justifier la mise en place de la servitude de tour d’échelle. Par exemple, dans une affaire jugée par la cour d’appel de Rennes (5 juillet 2022, n° 21/06140), des propriétaires avaient besoin d’installer un échafaudage pour enduire un mur d’une construction nouvelle, édifiée en limite de propriété. Les juges ont estimé que retarder la pose de l’enduit imperméabilisant exposait la construction à un risque certain de dégradations et d'apparition de désordres (infiltrations). La Cour d’appel a donc ici admis la servitude.
*Une impossibilité de faire autrement que de passer chez le voisin
Il faut prouver que les travaux ne peuvent pas être réalisés autrement qu’en accédant au terrain du voisin. S’il est possible de les effectuer depuis son propre terrain, même si cela coûte plus cher ou demande plus d’efforts, la servitude sera refusée. Le passage chez le voisin doit être techniquement indispensable et provoquer le moins de désagréments possible. Les modalités de passage, la marge d'empiétement et le temps d'intervention (le temps des travaux) doivent être aussi restreints que possible.
En général, la servitude de tour d’échelle est limitée dans le temps au strict nécessaire pour réaliser les travaux, souvent quelques semaines. Le bénéficiaire doit donc planifier son chantier de manière efficace pour ne pas prolonger inutilement le passage sur le terrain voisin.
Le juge, lorsqu’il est saisi, vérifie notamment la durée (raisonnable) des travaux, la surface concernée ou encore la gêne occasionnée et peut fixer des limites précises.
Si les solutions alternatives sont clairement excessives, le juge peut considérer que l’accès par le fonds voisin est la seule option raisonnable. Dans une affaire (Cour de cassation, 3e chambre civile, 15 février 2012, n° 10-22899), le tour d'échelle a ainsi été accordé aux propriétaires d'une maison qui devaient réparer un pan de toiture. La voie publique étant trop étroite pour installer une nacelle, la mairie s’y était opposée pour des raisons de sécurité et de circulation. Les juges ont considéré qu’aucune autre solution raisonnable n’existait et que le coût des alternatives (grue, hélicoptère) serait disproportionné au regard de l’importance des travaux. La servitude de tour d’échelle a donc été admise sur le fonds voisin pour trois semaines.
*Illustrations jurisprudentielles : quand le juge dit oui… ou non
Les tribunaux vérifient que toutes les conditions sont remplies avant d’autoriser la servitude. Par exemple, dans une affaire, un voisin voulait accéder à la parcelle mitoyenne pour poser un crépi sur un mur. Les juges ont constaté que les travaux étaient nécessaires pour achever l’ouvrage, qu’il n’y avait pas d’autre solution que d’installer un échafaudage sur une bande de terrain entre les deux maisons, et que, en plus d’un objectif esthétique accessoire, le ravalement visait surtout à protéger la maison contre les infiltrations. La servitude a donc été accordée (Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 18-25.996).
En revanche, dans une autre décision (Cour de cassation, 3e chambre civile, 12 novembre 2020, n° 19-22.106), les juges ont rejeté la demande d’un propriétaire qui souhaitait accéder temporairement au terrain voisin afin de construire un mur de clôture nécessitant d’importants travaux de fondation. En effet, le propriétaire disposait d’un espace suffisant sur son propre terrain pour repositionner l’ouvrage, même si cela impliquait de modifier le projet. De plus, la durée estimée des travaux était de plusieurs semaines et le passage empiétait largement sur la parcelle voisine, privant son propriétaire de l’usage de cette bande de terrain pendant toute la durée du chantier. Une gêne jugée disproportionnée par les magistrats qui ont donc confirmé que la servitude n’était pas justifiée.
L’indemnisation du voisin pour compenser les préjudices
Le propriétaire voisin doit être indemnisé pour les désagréments causés par la servitude. Par exemple, une haie piétinée, une pelouse abîmée, un parterre détruit ou une branche cassée peuvent ouvrir droit à une réparation, même si ces nuisances sont involontaires.
Ainsi, une juste et raisonnable indemnité doit être versée au profit du voisin pour réparer les dommages accidentels inhérents au chantier, même sans prouver une faute de la part du voisin ou des personnes autorisées à passer sur son terrain. Le simple fait de subir un dommage suffit à ouvrir droit à réparation. C’est au voisin, victime des nuisances, d’apporter la preuve des préjudices qu’il a subis. C'est pourquoi, par exemple, la Cour d'appel d'Amiens a débouté de leur demande d'indemnisation les propriétaires du fonds servant dans la mesure où ils se contentaient d’affirmer qu’ils subiraient un trouble de jouissance du fait du passage sur leur fonds, sans à aucun moment établir la réalité de ce préjudice (9 avril 2013, n° 11/02243).
L’indemnité versée compense également le trouble de jouissance dépendant des conditions dans lesquelles sont effectués les travaux et leur durée. La servitude de tour d’échelle oblige temporairement le propriétaire voisin à laisser le passage sur une partie de son terrain, entraînant un trouble de jouissance indemnisable. C’est le cas, par exemple, pour des échafaudages déposés dans le jardin, mais sur une allée ou une voie d’accès (trouble de jouissance), en cas de nuisances sonores importantes (attention au trouble anormal de voisinage) ou de vue directe par les ouvriers sur des pièces de vie.
Il est important que le bénéficiaire de la servitude respecte strictement les termes de la convention ou de la décision judiciaire accordant la servitude. Un usage excessif, des passages en dehors des horaires convenus ou des dégâts non réparés peuvent entraîner des sanctions (essentiellement des sanctions civiles comme le versement de dommages et intérêts).
L’accord préalable du voisin : le dialogue avant tout ou le juge en dernier recours
Le tour d’échelle est une servitude qui peut s’obtenir soit par accord amiable entre voisins, soit, en cas de désaccord, par une décision de justice. En effet, on ne peut pas simplement entrer sur la propriété de son voisin en se basant sur un droit d’échelle même si celui-ci est justifié. Ainsi, l’accord préalable du voisin est impératif pour pouvoir passer sur son terrain et réaliser les travaux. De même, si la parcelle voisine est une voie publique, il faut demander une autorisation à la mairie.
Le plus souvent, tout commence par une demande amiable. Le propriétaire qui souhaite réaliser les travaux contacte son voisin, lui explique le projet, détaille les travaux, propose une convention et s’engage à réparer d’éventuels dégâts. Cela aide à rassurer le voisin, à éviter les conflits et à fixer un accord clair et équilibré.
La convention peut être rédigée simplement entre eux (acte sous seing privé) ou chez un notaire. Il faut y préciser toutes les règles : durée et lieu des travaux, horaires, dates et heures de passage, frais éventuels pour remettre en état, conditions pour prolonger le délai, modalités d’accès au terrain, précautions pour protéger le bien du voisin, emplacement et usage du passage (à pied, en voiture), zone d’implantation de l’échafaudage, moyens utilisés en vue de la sécurisation de la propriété en empêchant l’intrusion de tiers, etc. Un dédommagement peut aussi être prévu pour la gêne ou les dégâts causés.
Il est conseillé d’accompagner cette convention écrite d’un plan des lieux et du devis de l’entreprise qui réalisera les travaux. Idéalement, un état des lieux doit être établi avant le démarrage des travaux, soit à l’amiable, soit par un commissaire de justice (avec photos). À la fin des travaux, un autre état des lieux permet d’évaluer d’éventuels dommages et leurs réparations.
Souvent, le voisin peut craindre les nuisances liées aux travaux et refuser ou ne pas répondre. Si ce refus n’est pas justifié, la situation peut vite devenir conflictuelle.
Si aucun accord n’est trouvé, il est possible de demander au juge d’autoriser la servitude, à condition de prouver qu’il est absolument nécessaire d’accéder au terrain voisin pour faire des travaux indispensables à la conservation du bâtiment. Cette autorisation peut être demandée rapidement par référé devant le tribunal judiciaire en cas d’urgence. Cependant, il est toujours préférable d’essayer d’abord une solution amiable, comme la médiation ou la conciliation de justice, avant de saisir le juge.
Le refus fautif du voisin : quand la mauvaise volonté coûte cher
La servitude de tour d’échelle ne suspend pas les droits du propriétaire du fonds voisin qui conserve la libre jouissance de son terrain, sous réserve de ne pas faire obstacle abusivement aux travaux légitimes. Il ne doit donc pas bloquer les travaux.
Si la servitude est justifiée et que toutes les conditions sont remplies, le propriétaire du terrain doit laisser passer temporairement son voisin avec ses outils, ses ouvriers, une échelle ou un échafaudage pour réaliser les travaux nécessaires. Les juges estiment que celui qui refuse ce passage ou impose des conditions inutiles peut commettre un abus de droit et être condamné à verser des dommages et intérêts. Récemment, la Cour de cassation a même indiqué que refuser tout simplement la servitude, même sans intention de nuire, peut être fautif (Cour de cassation, 3e Chambre civile, 26 mars 2020, n°18-25.996). Dans cette affaire, le voisin qui bloquait le passage a dû payer 600 euros de dédommagement.
Le tribunal judiciaire compétent peut être saisi avec l’aide d’un avocat. On peut demander une décision rapide par référé si les travaux sont urgents (par exemple en cas d’infiltrations graves) ou une procédure classique si ce n’est pas urgent. Le demandeur doit prouver que toutes les conditions du droit de tour d’échelle sont réunies et que le voisin refuse sans raison valable. Le juge vérifie ces conditions (travaux indispensables, etc.) et il fixe les modalités d’exercice du tour d’échelle : fréquence et largeur du passage, véhicules autorisés, installation d’échafaudage, entretien éventuel... C’est lui qui limite la durée, les horaires et l’espace concernés, et peut prévoir une indemnité si les nuisances sont importantes. La décision est souvent prise en référé lorsque l’urgence est avérée, notamment en cas de risques pour la sécurité ou la salubrité. Une fois les règles fixées, le juge donne l’autorisation temporaire de passage, souvent avec une astreinte pour faire respecter sa décision.
Quand les travaux sont terminés, une expertise peut être réalisée pour vérifier les éventuels dégâts causés. Que la servitude soit autorisée par convention ou par le juge, le bénéficiaire doit toujours remettre le terrain dans l’état initial avant les travaux.
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